"En votant demain, nous
allons, une fois de plus, substituer le pouvoir légal au pouvoir légitime. Le
premier, précis, d’une clarté en apparence parfaite, atomise les votants au nom
du suffrage universel. L’autre est encore embryonnaire, diffus, obscur à
lui-même : il ne fait qu’un, pour l’instant, avec le vaste mouvement
antihiérarchique et libertaire qu’on rencontre partout mais qui n’est point
encore organisé. Tous les
électeurs font partie des groupements les plus divers. Mais ce n’est pas en
tant que membre d’un groupe mais comme citoyens que l’urne les attend.
L’isoloir, planté dans une salle d’école ou de mairie, est le symbole de toutes
les trahisons que l’individu peut commettre envers les groupes dont il fait
partie. Il dit à chacun : «Personne ne te voit, tu ne dépends
que de toi-même ; tu vas décider dans l’isolement et, par la suite, tu
pourras cacher ta décision ou mentir.» Il n’en faut pas plus pour
transformer tous les électeurs qui entrent dans la salle en traîtres en
puissance les uns pour les autres. La méfiance accroît la distance qui les
sépare."
Jean-Paul Sartre, « Élections, piège à cons », Les temps modernes n°318, janvier 1973
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